Le développement des pauples - Lettre Encyclique
Jean RODHAIN, « Préface », in PAUL VI, Le développement des peuples. Lettre encyclique Populorum Progressio, Lyon, Apostolat des éditions, 1967, p. 9-15.[1]
Présentation
« Il a osé le dire ».
Le cri dit monde de la faim ne nous parvenait plus. Il était noté dans les thèses des spécialistes. Il figurait à peine dans les statistiques. Et voici que le cri des peuples sans travail, sans toit, sans pain, trouve un haut-parleur tellement fidèle que les lecteurs des Encycliques traditionnelles restent un instant déroutés par celle-ci. Les phrases feutrées et ecclésiastiques de la diplomatie vaticane sont remplacées par des textes techniques et des invectives aussi dures que celles de saint Jean Chrysostome. Il a osé le dire...
Aussi un journaliste souligne cette audace du Pape en titrant son compte-rendu : « Il a osé le dire ».
En présentant ce texte pontifical, est-il permis de souligner en particulier deux caractéristiques de cette Encyclique ?
Primo : Les devoirs vis-à-vis du prochain sont extrapolés à l’échelle des peuples du monde.
En 1891, l’Encyclique RERUM NOVARUM ouvrait la série d'un enseignement social de l'Église adapté à l'époque. De multiples commentateurs ont monnayé cet enseignement sur le plan local de l'entreprise et sur le plan de l’État. Toute une législation sociale a été, consciemment ou inconsciemment, imprégnée par ces textes.
Avant le Concile on regrettait que dans les bibliothèques de théologie il n'y ait presque rien sur la transposition de ces beaux principes au plan international.
Un homme riche doit aider son voisin qui a faim. Mais une nation riche a-t-elle une même obligation vis-à-vis d'une nation lointaine ? Puisque l'avion nous porte en trois heures jusqu'en Afrique, l’Africain est devenu mon « prochain ». Jusqu'où l'obligation qui lie le particulier va-t-elle lier la collectivité ?
On a exposé la question au Concile.
Le Concile a voté le Schéma XIII qui répond à la question de cette présence des chrétiens dans les dimensions actuelles.
Et l'Encyclique reprend un à un les principes de la théologie morale pour l'individu, et elle les extrapole au plan des nations : « la question sociale est aujourd'hui mondiale ».
« Pour les nations comme pour les personnes, l'avarice est la forme la plus évidente du sous-développement moral » (n° 19 de l'Encyclique).
« Nul n'est fondé à réserver à son usage exclusif ce qui passe son besoin, quand les autres manquent du nécessaire » (23).
« La faim d'instruction n'est en effet pas moins déprimante que la faim d'aliments : un analphabète est un esprit sous-alimenté » (35).
« Il faut aussi le redire : le superflu des pays riches doit servir aux pays pauvres. La règle qui valait autrefois en faveur des plus proches doit s'appliquer aujourd'hui à la totalité des nécessiteux du monde » (49).
Secundo : des précisions inhabituelles
Alors qu'habituellement les Encycliques s'en tiennent aux généralités, celle-ci descend jusqu'aux réalisations. En voici trois exemples :
Un projet: Le Fonds Mondial.
À Bombay, S. S. Paul VI avait demandé la création d'un Fonds Mondial alimenté par un prélèvement sur les dépenses militaires. Le silence des Gouvernements avait marqué l'échec total de cette initiative.
Paul VI répète sa demande, et il la précise :
« Il faudrait encore aller plus loin. Nous demandions à Bombay la constitution d'un Fonds Mondial, alimenté par une partie des dépenses militaires, pour venir en aide aux plus déshérités. Ce qui vaut pour la lutte immédiate contre la misère vaut aussi à l'échelle du développement. Seule une collaboration mondiale, dont un fonds commun serait à la fois le symbole et l'instrument, permettrait de surmonter les rivalités stériles et susciter un dialogue fécond et pacifique entre tous les peuples » (51).
Une citation : « Caritas Internationalis ».
« Notre Caritas Internationalis est partout à l'œuvre et de nombreux catholiques, sous l'impulsion de nos frères dans l'épiscopat, donnent et se dépensent eux-mêmes sans compter pour aider ceux qui sont dans le besoin, élargissant progressivement le cercle de leur prochain » (46).
Une échéance : Avant qu'il ne soit trop tard.
« Quand tant de peuples ont faim, quand tant de foyers souffrent de la misère, quand tant d'hommes demeurent plongés dans l'ignorance, quand tant d'écoles, d'hôpitaux, d'habitations dignes de ce nom demeurent à construire, tout gaspillage public ou privé, toute dépensé d'ostentation nationale ou personnelle, toute course épuisante aux armements devient un scandale intolérable. Nous nous devons de le dénoncer. Veuillent les responsables Nous entendre avant qu'il ne soit trop tard » (53).
Au-delà du Concile
Avec ces principes étendus à l'échelle du monde entier, après ces précisions signalétiques, l’Encyclique évoque les multiples domaines d'application. Rien que la lecture de quelques titres est évocatrice : La propriété - L'usage des revenus - Le capitalisme libéral - Révolution et réforme - Alphabétisation - Relations commerciales - Conventions internationales - Racisme - Missions de développement.
Déjà certains commentateurs alignant d’un côté les textes du Concile et de l'autre ceux de l'Encyclique s'étonnent et déclarent : « Elle va beaucoup plus loin que le Concile... »
C'est exact.
Certains considèrent les textes du Concile comme un musée remarquable que chaque fidèle doit visiter pour s'inspirer ensuite des vérités contemplées.
D'autres voient dans le Concile une piste d'envol d'où l'on peut enfin s'élever pour regarder le monde et la lumière du Christ sur le monde avec des perspectives plus hautes.
Un musée accueille des visiteurs.
Un aérodrome est un point de départ. C'est la figure moderne de la barque de Pierre : Duc in altum : vogue vers le large...
L'Église a pu paraître à certains imagiers comme une ville fortifiée aux institutions consolidées par une enceinte flanquée de tours.
L'Église reste la Cité de Dieu. Une cité moderne comporte son aérodrome. L'enfant d'aujourd'hui sait expliquer ce qu’est une piste d'envol. Une cité moderne est sans cesse en construction. En expansion.
Le Christ n'a pas dit : « Je vous ai bâti une Eglise. »
Il a dit « Je bâtirai mon Église ». Nous assistons à cette construction.
Ou plutôt nous « participons » à cette construction : car c'est à cette participation « plus attentive, plus active, plus généreuse » (76), que nous invite l’Encyclique.
Mgr Jean RODHAIN
[1] Réédité sous le titre : "Le pape avocat des pauvres" dans : Messages du Secours Catholique, n°173, avril 1967, p. 10-11. (Note de l'éditeur)