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Retour du Biafra

31 août 2017
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Jean RODHAIN, « Retour du Biafra », Messages du Secours Catholique, n° 197, mai 1969, p. 3; 9.

Retour du Biafra

Atterrissage en pique

Il y a des gens qui se sentent mal à l’aise en avion (j'en suis). Un regard par le hublot leur donne le vertige. Un changement de régime des réacteurs les inquiète. Un atterrissage trop sec leur noue l’estomac. Pour les guérir, je leur conseille d’utiliser le pont aérien du Biafra. En guise d’aérodrome : une route dans la forêt. On atterrit de nuit. Et les lumignons de la route s’allument pendant 30 secondes seulement à cause du bombardier ennemi qui fait le guet. Quand on est placé dans le cockpit du pilote, ce plongeon dans le noir est un efficace indéfrisable pour votre système nerveux.

Evêques sans évêchés

Sur les quatre évêques de la province biafraise plus un seul ne réside dans son évêché : ces villes sont toutes occupées par l’armée nigériane. Ces quatre évêques habitent quelque part dans la forêt au milieu de leurs diocésains.

Ni électricité, ni téléphone, ni réunions de Commissions. C’est l’Église des Catacombes sous le soleil de l'Equateur. On en revient réconforté.

Les villages éponges

Le « réduit » biafrais s’est littéralement de nouveau rétréci en avril. La prise d’Umuahia a entraîné à la fois une diminution de surface et un nouvel exode vers cette surface réduite. On se demande comment tant de millions d’individus peuvent s’accumuler en si peu de place !

Nos H.L.M. sont incompressibles : on ne pourrait pas y tripler le nombre d’habitants. Or, les villages biafrais ne ressemblent pas à notre urbanisme européen. Le terrain est illimité : une forêt immense parsemée d’habitations : c’est le village.

Chaque habitation est extensible. Avec une tôle ondulée et quelques palmes entrelacées, la résidence triple sa capacité.

Amichi, au diocèse d’Onitsha, comptait 500 habitants. Il y en a aujourd’hui plus de 10.000. Le visiteur ne s’en rend pas compte, car cette surpopulation est disséminée sous les palmiers et les cocotiers. C’est seulement au centre de distribution, et le dimanche à la grand-messe, que l’on découvre cette foule inattendue.

La lutte pour le développement

  • De plus en plus, les avions de la Croix-Rouge et ceux de Caritas transportent des cargaisons de semences. Il s’agit de faire revivre ces villages. Même les enfants sont associés à ce travail des semailles. Mais ce développement est sans cesse contrecarré par les péripéties de la guerre.
  • Le jour de la prise d’Owerri par les Biafrais, j’étais chez Mgr Wheelan, archevêque d’Owerri, dans sa résidence forestière : un ancien séminaire transformé en hôpital autour duquel les séminaristes défrichent, labourent et sèment sans répit : la survie de chaque diocèse est suspendue aux récoltes, m’explique Mgr Wheelan. Mais la reconquête d’Owerri est assombrie par les reflux des réfugiés. Et les récoltes dépendent de chaque mouvement de population. On estime que la chute d’Umahia a entraîné la fuite de 500.000 civils vers l’ouest du réduit. Cela a augmenté l’accumulation de la population. Cela provoque aussi la perte sèche de toutes les cultures entreprises hier par ces nouveaux réfugiés. Cet exode est un double coup pour l’équilibre économique du Biafra.

Charité et soude caustique

L’absence de savon a provoqué de nombreuses affections de la peau, spécialement chez les enfants.

En plus des médicaments, les avions du pont aérien ont donc apporté des tonnes de savon. Réaction dés responsables locaux : « Nous préférons de la soude caustique : avec 3 tonnes de soude, nos petites savonneries fabriquent 10 tonnes de savon. Cela procure deux avantages : nous donnons du travail et des salaires sur place, et nous libérons du fret de vos avions. »

Depuis lors, nous transportons de la soude caustique...

Un fait nouveau

Ce pont aérien est un tour de force véritablement exceptionnel. La Croix-Rouge et les Églises totalisent actuellement près de 4.000 atterrissages par la nuit noire, dans des conditions périlleuses que n’accepterait aucun aérodrome du monde. Il ne s’agit donc pas de l’exploit isolé d’une œuvre charitable, mais d’une entreprise commune à l’échelle mondiale. C’est un fait nouveau dans l’histoire de la Charité. C’est une réalisation aux dimensions jamais atteintes jusqu’ici par les Églises.

Les deux réseaux

Cinquante-neuf camions Caritas sont rangés dans la forêt le long de la piste-route d’Uli. Dès que les avions atterrissent, ils accostent et se remplissent. Dans la nuit, ils roulent tous feux éteints vers les cinq centrales de distribution et déchargent. De ces cinq points repartent des camionnettes vers les villages. Cette flotte automobile est hétéroclite et ces camions sont rafistolés avec des pièces de rechange forgées par de petits artisans. Cette noria tourne sans répit. J'ai vérifié le fonctionnement de ce réseau ramifié jusqu’aux plus humbles points de la forêt.

Mais chaque fois qu'un discours de remerciement était prononcé, ma réplique était la même partout. « Ce que vous recevez de Caritas ne provient pas d’un trésor accumulé à Rome, ni d’une banque bien garnie à Paris. Ce sont des collectes des paroisses, des collèges, des enfants du monde entier : c’est un réseau qui vous alimente. Et ces deux réseaux, celui-là et le vôtre se font écho et se complètent. C’est véritablement la communauté chrétienne. C’est l’Église primitive de Corinthe et de Macédoine répondant à l’appel de Paul pour l’Église affamée de Jérusalem. Voilà la véritable Église vivante... »

On appelle Sick Bay les Centres de soins que Caritas et JCA animent dans la forêt.A l’extérieur, de longues files de malades attendent leur tour devant la case du médecin. A l’intérieur, on retrouve partout le même hangar interminable.

Je dis bien « interminable » parce qu’à force de les avoir longuement parcourus, il me semble avoir suivi un calvaire aux stations d’une longueur inchiffrable. Partout, de chaque côté de l’allée, le même spectacle : des mères, immobiles statues, présentent ces minuscules choses grises que sont leurs enfants victimes du Kwashiorkor, cette maladie de la faim. Le regard fixe de ces mères est insoutenable.

A la télévision, ce spectacle lorsqu’il dure trois minutes vous paraît insupportable. Même si on ne passe que deux journées à parcourir ces hangars - partout les mêmes - on en revient le cœur écorché. Il me semble que pendant longtemps je ne pourrai plus supporter ni congrès, ni discours.

Il me semble que mon devoir est d’aller partout répéter qu’il faut tout faire pour ces hangars interminables.

Dans cent ans, comment jugera-t-on les responsables de 1969 qui laissent s’accomplir une horreur de cette dimension ?

Je reviens du Biafra, bouleversé.

Jean RODHAIN.

 

 

Depuis deux mois j’ai donc séjourné successivement au Nigeria, puis ou Biafra.

Je n’ai pas été - comme tant de parlementaires - limité à un voyage organisé. J’ai pu - de chaque côté - circuler, interroger et regarder librement. Nous ne devons pas être très nombreux à pouvoir ainsi regarder de près l’envers et l’endroit de cette sanglante tapisserie.

J’ai rencontré – j’en témoigne - de l’un et de l’autre côté des hommes droits et loyaux désireux d’une paix honorable et voulant mettre fin le plus rapidement possible à cet inutile massacre.

Mais je garde l’impression qu’au-dessus de ces hommes indiscutablement sincères, il existe d’autres hommes - ou d’autres puissances - dont l’intérêt est de prolonger l’atroce guerre. Plus elle durera, plus ils vendront d’armes. Plus elle se prolongera, mieux se cotera la valeur des puits de pétrole. Ces hommes existent. Ces puissances ont un nom. Y aura-t-il un jour un tribunal pour les juger ? En attendant ce tribunal, ce sont là-bas les très pauvres qui payent...

J. R.

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