Sécheresse, une facture de 7 milliards ?
"Sécheresse, une facture de 7 milliards ?", MSC, n°276, septembre 1976, p.3.
Sécheresse, une facture de 7 milliards ?
Vous perfectionnez votre agriculture. Vous achetez une moissonneuse-batteuse ultramoderne qui économise la main d’œuvre et vous utilisez des engrais obtenant un rendement triple de celui de votre grand-père. Et tous ces progrès s’écroulent parce que la pluie n’est pas venue.
Vous convoquez la population et la télévision pour voir défiler le 14 juillet des escadres d’avions et d’hélicoptères valant plusieurs milliards. Et on ne verra rien du tout car ces admirables engins resteront au sol, parce que la pluie est venue.
Vous avez des ordinateurs capables de tout calculer, des sondages capables de tout estimer et des experts capables de tout prévoir : et aucun de ces chefs d’œuvre n’a été capable de prévoir cette écrasante sécheresse de cet été 1976...
Vous avez saturé le public avec des discours et de multiples déclarations. Et vous avez oublié l’importance de certaines gouttes d’eau tombant du ciel...
Alors je me souviens du temps jadis où, dans le vent frais du printemps, la procession des Rogations cheminait parmi les blés verts. On serpentait dans le chemin des aubépines. Le vieux chantre égrenait les longues litanies des saints. Les enfants de Marie répondaient « ora pro nobis » sur un ton suraigu. Chaque puits était fleuri et on s’arrêtait pour bénir l’eau des sources et des fontaines. Les vieux serviteurs de la ferme attendaient devant la grange et se signaient au passage du curé. Cela n’avait rien de superstitieux. La liturgique procession des Rogations était le peuple de Dieu reconnaissant que le soleil et la pluie et le grain dépendaient du Créateur.
Faites donc à ce propos un sondage d’opinion : quel est le pourcentage des Français qui en ce printemps ont prié dans une procession des Rogations afin que le Seigneur bénisse nos récoltes de l’été. Combien étaient-ils ? Dites un chiffre...
Après la sécheresse, comment réagit-on ? Les réactions sont très diverses...
PREMIERE CATEGORIE : les calculateurs.
Ceux-là se rappellent des années où de bonnes pluies ont fait surgir de riches récoltes de betteraves et des fourrages surabondants. Ils se souviennent qu’alors les agriculteurs ne leur ont pas offert de partager leurs bénéfices. Pourquoi partager maintenant leurs pertes en versant une taxe spéciale ?
DEUXIEME CATEGORIE : les compréhensifs.
Ceux-là observent que la sécheresse a frappé inégalement. Tel grand exploitant a eu un secteur grillé mais a vu bien des hectares préservés. Tel petit exploitant, en revanche, n’aura plus de fourrage pour un troupeau qu’il ne pourra conserver. Le devoir de partage avec le plus éprouvé semble évident.
TROISIEME CATEGORIE : ceux qui se posent des questions.
Ces derniers relisent les journaux de l’an dernier : on nous a abreuvé de toutes les questions possibles et imaginables : pas un seul n’a songé à dire : « votre pain quotidien dépendra de la pluie ou du soleil ». Ils écoutent attentivement les techniciens actuels. On transporte de la paille et cela se fait bien. On calcule des impôts spéciaux pour la sécheresse. Mais pour éviter l’an prochain la sécheresse et pour obtenir en 1977 de bonnes pluies, pas question. On sait bien que cela dépend du Créateur, alors motus, silence. Pourquoi cet étrange silence ?
En Chine, un terrible tremblement de terre vient de faire des centaines de milliers de morts. Pour sauver l’honneur de son régime la Chine préfère cacher cela. A l’âge de la télévision et de l’information rapide, on ne saura rien de cette catastrophe. Silence.
En France, après la « catastrophe sécheresse » on gardera un étonnant silence à propos de Celui qui est le Maître du soleil, des nuages et de toute création. Et dans ce grand silence il y en a tout de même quelques-uns qui se posent des questions : Ils tendent l’oreille vers l’enfant qui murmure : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ».
Jean RODHAIN