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Le sanctuaire, espace privilégié pour rencontrer Dieu

04 octobre 2019
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Dans le contexte culturel et religieux de ces dernières années, il est devenu très important d’aller en pèlerinage dans un sanctuaire. Les églises de nos paroisses – du moins en Occident – se montrent souvent à demi-désertes, alors que les sanctuaires connaissent une fréquentation massive. Tout ceci est le signe d’une spiritualité qui mérite d’être analysée et étudiée pour comprendre ce qu’elle recouvre et ce qu’elle entend exprimer. Par quels contenus peut-on l’enrichir afin de permettre une maturation de notre peuple, pour qui ces formes d’expression correspondent à une expérience de foi réelle et profonde ?

Ce n’est pas un hasard si je parle de spiritualité et non de dévotion, terme souvent utilisé par le passé pour désigner ces formes d’expression, par une certaine volonté de marginaliser – sinon de déprécier – les expressions de foi populaire. Pendant longtemps, durant ces dernières décennies, la vision prédominante a consisté à assimiler ces manifestations de foi à un amas de superstitions et d’ignorance religieuse. Il ne faut pas oublier, pourtant, que toutes ces manifestations trouvent une partie de leurs fondements dans l’Écriture sainte et dans les longues traditions des peuples. Comment négliger, en effet, la diversité de conceptions que les Israélites avaient de l’action de Dieu dans l’existence de chacun et dans le peuple tout entier ? Jusqu’au temps de l’Exil, la religiosité populaire n’était pas centrée sur Dieu seul mais, comme on le sait, elle était encore dispersée dans le culte de diverses divinités, souvent partagées avec les peuples environnants. Dans ce contexte, l’exemple de Jacob et de son songe de Béthel mérite d’être rappelé. Après avoir « volé » le droit d’aînesse, Jacob avait dû quitter la maison paternelle ; il était seul et sans défense, mais Dieu est venu à sa rencontre en promettant de le protéger, de le défendre, et de lui accorder une grande descendance et une terre (cf. Gn 28,13-15). Le matin, Jacob repense au songe qu’il a fait pendant la nuit et prend conscience du caractère exceptionnel de ce qu’il a vécu. Sa prière est éclairante par rapport à notre sujet : « En vérité, le Seigneur est en ce lieu, et je ne le savais pas ! […] Si Dieu est avec moi, s’il me garde sur le chemin où je marche, s’il me donne du pain à manger et des vêtements pour me couvrir, et si je reviens sain et sauf à la maison de mon père, le Seigneur sera mon Dieu. Cette pierre dont j’ai fait une stèle sera la maison de Dieu » (Gn 28,16.20-22).

Cet exemple permet de relever quelques traits spécifiques de la religiosité populaire – même s’ils sont exprimés ici sur un plan individuel – parce qu’il fait apparaître une prière personnelle pleine d’attentes désireuses d’être exaucées. Dans sa simplicité d’expression, il manifeste la recherche d’un rapport à la divinité. Le récit biblique peut manifestement s’appliquer à bien des situations que nous avons pris l’habitude de désigner comme étant des « périphéries ». Le pape François a introduit cette expression significative dans le vocabulaire ecclésial, et en fait quotidiennement l’objet de son magistère. Jacob est en pleine « périphérie existentielle ». Il est loin de la maison de ses pères, sur une terre étrangère et hostile. Il est confronté à sa propre trahison du droit d’aînesse et éprouve l’absence de Dieu. Comment ne pas retrouver, dans ce personnage biblique, les conditions de vie de nos contemporains ? Nos périphéries sont souvent invisibles : les gens se sentent marginalisés, surtout lorsqu’ils se rendent quotidiennement au travail en centre-ville et sont témoins d’une opulence manifeste. Il existe pourtant une périphérie encore plus profonde : celle qui fait refuser que la vie ait un sens et porte souvent à s’interroger sur la raison de l’existence. Dans ce contexte, l’attrait pour une spiritualité peut permettre d’ancrer sa vie dans quelque chose de fondamental qui aide à donner du sens et fait trouver libération et rédemption.

Ce qu’on entend généralement par spiritualité est l’expérience faite par quelqu’un qui s’engage avec un profond désir de se dépasser pour rencontrer Dieu. La spiritualité populaire s’impose à nous comme exprimant l’enracinement dans l’humilité de la foi des gens simples qui éprouvent le besoin de dépasser les formes classiques de la liturgie officielle et des médiations cléricales, pour privilégier un sentiment ancré dans l’intimité de la relation personnelle avec Dieu. Les médiations préférées sont celles qu’on juge les plus cohérentes : les bénédictions, l’eau bénite, les reliques, les médailles, les images, les cierges… tout ce qui incarne une certaine présence divine et son action toute puissante. Cette spiritualité s’appuie sur une relation simple et directe au Seigneur, à la Vierge Marie et aux saints, et elle privilégie, au-delà des expressions codifiées, la dimension intuitive, et souvent imaginative, avec laquelle on présente ses besoins et ses attentes à l’image sainte, dans un langage simple et direct. Il faut ajouter une composante de cette spiritualité qui n’est pas secondaire : la dimension de la fête. On y privilégie une certaine « théâtralité » qui, sous ses diverses formes, manifeste l’émotion éprouvée par le peuple et ses besoins d’expression. Une procession – avec tout ce qui l’entoure dans certaines cultures – ne fait que témoigner de ces besoins qui, je le répète, constituent une forme authentique de spiritualité puisqu’ils comportent tous les éléments qui la définissent et la constituent comme telle. Cette dimension est souvent vécue dans nos périphéries comme un moment de regroupement indispensable, parce qu’on y trouve facilement des aspects donnant une identité et permettant d’exprimer en acte une forme de transmission de la foi.

La spiritualité populaire a besoin d’être festive, elle a besoin d’une polychromie d’expressions et d’un théâtre de réalisation. Tout cela montre le caractère profondément inculturé de la foi qui ne peut échapper à cette condition sans perdre une partie de sa spécificité. Dans ce contexte, l’appel de Gaudium et spes revient avec force : « L’Église n’ignore pas tout ce qu’elle a reçu de l’histoire et de l’évolution du genre humain. L'expérience des siècles passés, le progrès des sciences, les richesses cachées dans les diverses cultures, permettent de mieux connaître l’homme lui-même et ouvrent de nouvelles voies à la vérité. […] En effet, dès les débuts de son histoire, elle a appris à exprimer le message du Christ en se servant des concepts et des langues des divers peuples et, de plus, elle s’est efforcée de le mettre en valeur par la sagesse des philosophes : ceci afin d’adapter l’Évangile, dans les limites convenables, à la compréhension de tous et aux exigences des sages. À vrai dire, cette manière appropriée de proclamer la parole révélée doit demeurer la loi de toute évangélisation. C’est de cette façon, en effet, que l’on peut susciter en toute nation la possibilité d’exprimer le message chrétien selon le mode qui lui convient » (GS, n° 44).

Saint Paul VI faisait écho à ces paroles par celles-ci, plus directes encore, indiquant dans la piété populaire une forme particulière d’évangélisation : « Si elle est bien orientée, surtout par une pédagogie d’évangélisation, elle est riche de valeurs. Elle traduit une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres peuvent connaître. Elle rend capable de générosité et de sacrifice jusqu’à l’héroïsme, lorsqu’il s’agit de manifester la foi. Elle comporte un sens aigu d’attributs profonds de Dieu : la paternité, la providence, la présence amoureuse et constante. Elle engendre des attitudes intérieures rarement observées ailleurs au même degré : patience, sens de la croix dans la vie quotidienne, détachement, ouverture aux autres, dévotion » (Evangelii nuntiandi, n° 48).

Une pastorale élitiste, ou trop unilatéralement codifiée, risque de perdre de vue le peuple dans ses expressions véritables et créatives. On se trouve ainsi piégé dans des positions faisant oublier la grande question de l’inculturation de la foi et de son immersion dans les peuples les plus disparates. Il ne faut pas sous-évaluer, par ailleurs, le fait que le peuple possède, en tant que sujet, une force créatrice propre qui – même si elle est conditionnée par le sentiment – n’est pas moins profonde que celle où prédomine la raison. Une spiritualité populaire conserve, en effet, le sens des traditions dans ses manifestations ; elle exprime une identité créée au fil des siècles et, à travers elle, le sentiment d’appartenir à un peuple ayant sa propre histoire et son propre enracinement. Cette spiritualité est propre aux pauvres et aux simples, qui nous ramènent tous à une perception plus réaliste et moins bureaucratique de la foi. Il n’est pas certain, en fin de compte, qu’une insistance prononcée sur le sentiment porte préjudice à la rationalité. Une foi qui ne serait faite que de raison finirait par être abstraite et ne plus avoir qu’un rapport formel à la vie personnelle. Le sentiment et la raison peuvent, au contraire, constituer ensemble et réciproquement un véritable correctif permettant une expression de la foi la plus complète possible.

Mgr Rino Fisichella

Président du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation

Préface au rapport annuel Eglise en périphérie 2019 - Conférence des évêques de France 

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