Trois (3) minutes
Jean RODHAIN, « Trois (3) minutes », Messages du Secours Catholique, n° 14, novembre-décembre 1950, p. 1.
Trois (3) minutes
TIMOLEON, féru de progrès, TlMOLEON la tête bourrée d'excellentes lectures sociales, s'inquiète devant les méthodes retardataires du « SECOURS ».
Accueillir mille vieillards déportés, n'est‑ce point du paternalisme ?[1].
L'objection a été faite, imprimée, diffusée, par un journal « bien pensant ».
TIMOLEON objecte qu'il serait plus conforme à la dignité de la personne humaine d'offrir à chacun de ces vieillards, une indépendance plus confortable. On compterait en France 100.000 TIMOLEONS éloquents sur ce point. Or, pour ces vieillards déportés, que nos braves Petites Sœurs des Pauvres accueillent et soignent de leur mieux, pas un de ces TIMOLEONS, pas un seul, n'est encore venu nous proposer ni gîte ni repas, ne serait‑ce que pour un seul de ces malheureux.
TIMOLEON nous rend service. TIMOLEON a raison. Nous souhaitons autant que lui l'avènement rapide et total de la justice sociale partout.
Que TIMOLEON regarde une mappemonde : en 1950, cette justice sociale, ce sont justement les pays les moins peuplés qui l'ont réalisée. C'est une petite expérience de laboratoire. Une expérience lumineuse, mais minuscule. Il n'y a pas un humain sur mille pour en profiter. Les autres ont encore besoin, en 1950, des formes simplistes de la charité.
Que TIMOLEON regarde surtout l'ÉVANGILE.
Un paralytique est guéri... TIMOLEON s'inquiète aussitôt. Il objectera qu'au lieu de s'attarder sur ce « cas particulier » le Christ eût été plus "social" en faisant avancer de vingt ans toute la législation judaïque. Une seule parole du Seigneur créant d'un seul coup cinquante hôpitaux équipés de médecins avertis n'auraient‑ils pas ainsi déclenché un miracle autrement efficace ?
Pourquoi le Seigneur s'est‑il limité - Lui qui est sans limites ‑ à guérir un malade, à réaliser une charité si occasionnelle ?
Pourquoi ? Parce que, devant ce paralytique guéri, des milliers d'âmes depuis deux mille ans ont médité. Depuis lors, elles ont construit des hôpitaux, elles ont établi des lois basées sur l'estime du malade, elles ont créé des mœurs de justice sociale, justement parce que ce geste du Seigneur les a illuminées.
La charité d'aujourd'hui, c'est la justice de demain. Le prix d'un geste n'est pas son seul rendement mathématique : c'est d'abord son caractère éducatif.
Voilà pourquoi nous demandons à chacun, le 19 novembre prochain, journée Nationale du SECOURS CATHOLIQUE, trois (3) minutes devant l'ÉVANGILE. Trois minutes où toute une ville regarde le Christ soulageant une misère, cela a plus de poids, plus de conséquences que toutes les activités, agitations, éloquences, démarches, subventions et réalisations des humains les p!us perfectionnés.
Au moment où sur la Place Saint-Pierre, une mer humaine acclamait l'ASSOMPTION définie, je pensais à quelqu'un qui devait se mordre les doigts : cet hôtelier aveugle de Bethléem qui ferma sa porte la veille de Noël à la pauvre Marie, quêteuse d'un logis.
Nous serions stupéfaits comme cet hôtelier, au jour du jugement, en face de la révélation éblouissante des misères et des inconnus, tous aimés du Seigneur, si nous restions aveugles comme l'hôtelier en face des misères de 1950.
Voir clair : CAMPAGNE de l'ENFANCE MALHEUREUSE cet hiver, prières et quêtes du 19 Novembre n'ont pas d'autre but.
Jean RODHAIN
[1] Allusion aux vieillards des camps de « personnes déplacées » en Europe Centrale et pour qui le Secours Catholique a créé un service d'accueil en France.