Prière à notre père Abraham
Jean RODHAIN, « Prière à notre Père Abraham », Messages du Secours Catholique, n° 145, octobre 1964, p. 4.
Prière à notre père Abraham
Père des Peuples, Père des Pauvres, Père déchiré.
I. - Notre Père Abraham, comme vous êtes lointain dans la nuit des temps. Et comme aujourd'hui cependant, de plus en plus, toutes les races regardent vers vous : le Père des Peuples. La Bible vous désigne comme le Père des Multitudes (Gen. XVII-5) et par serment, le Créateur vous a promis de bénir toutes les nations en votre descendance (Gen. XXII-18. Eccl. LXIV-2.). Le Christ se range dans votre lignée (Matth.I) et les premiers chrétiens se réclament de votre héritage (Gal. III.-28.) et tous les croyants rêvent de se rejoindre finalement « dans le sein d'Abraham » (Luc XVI. 22.).
L'Arabe garde votre tombeau dans sa Mosquée d'Hébron, Israël psalmodie votre généalogie devant le Mur de Jérusalem, et chaque matin, tous les chrétiens font mémoire de votre sacrifice en leur sacrifice du Pain consacré.
Notre Père Abraham, regardez donc ces peuples tournés aujourd'hui vers vous et daignez, comme un patriarche rassemble tous ses enfants, les rassembler dans la paix d'une famille enfin regroupée.
II. - Notre Père Abraham, vous étiez un nomade sans maison et un père sans progéniture. Dans votre pauvreté, le Seigneur vous a élu (Gen. XI. 10-31). Dans sa stérilité, le Seigneur a béni Sarah votre épouse (Gen. XVII-20) pour vous donner Isaac. Dans votre solitude, le Seigneur vous a comblé par son libre choix. Il vous a préféré. Vous êtes, notre Père Abraham, le type même du peuple pauvre, élu sans mérite préalable.
Quand Notre-Dame Marie invente son Magnificat, elle oublie le grand Moïse et tous les Prophètes pour ne nommer que vous seul (Luc I-54.). Et c'est vous, Abraham, qu'Elle prend à témoin de la promesse faite à tous les pauvres du monde d'être un jour rassasiés.
Voilà pourquoi c'est votre nom qui, dans le Nouveau Testament, est plus de septante fois cité, et c'est votre nom encore qui, dans le missel et le rituel, est sans cesse invoqué. Aussi bien pour bénir le jeune foyer que pour réconforter le pauvre agonisant.
Notre Père Abraham, en ces temps trop confortables, apprenez-nous cette pauvreté qui sait mesurer, en face de Dieu, sa misère véritable.
III. - Notre Père Abraham, vous êtes monté sur la montagne avec le terrible problème de votre fils réclamé (Gen. XXIII - 24.). Vous avez connu ce rendez-vous cruel du Créateur exigeant Isaac immolé. Ce chemin noir et déchirant de la foi, vous l'avez, sans une plainte, expérimenté. Vous avez subi et vous avez accepté. Et après la victime épargnée, vous avez compris la manière dont Dieu nous conduit et vous avez marché ensuite avec sérénité.
En souvenir de cette montagne gravie, de ce bûcher préparé, en souvenir des yeux clairs de votre fils Isaac et de son effroi, notre Père Abraham ayez pitié de nos effrois, de nos cheminements, de nos trébuchements à l'heure où, pour ses secrètes et terribles échéances, nous sommes, chacun à notre tour, par le Seigneur convoqués.
J. R.