Lily est libérée
Jean RODHAIN, « Lily est libérée… », Messages du Secours Catholique, n° 22, février-mars 1952, p. 8.
Lily est libérée
1. ‑ L'article.
Dans son avant‑dernier numéro, Messages publiait un article sur les misères du monde ; cet article, composé par Joseph Brandicourt se terminait ici, en page 8, par la lettre d'une innocente prisonnière « Lily », condamnée aux travaux forcés à perpétuité, et clamant son innocence et suppliant qu'on lui accorde de revoir enfin ses enfants.
2. ‑ Les réactions.
Dès la parution de cet article, nos lecteurs s'émurent de diverses manières.
Les uns s'étonnèrent que le Secours Catholique s'aventurât dans un domaine dangereux et risquât de compromettre l'Aumônerie des Prisons avec qui il a tant de points communs. Je leur réponds que si un chrétien a le droit de s'intéresser à un prisonnier innocent, à fortiori l'Aumônier général des prisons possède au moins le même droit... On compterait d'ailleurs sur les doigts d’une seule main ceux qui nous ont reproché cet article.
Des centaines de lecteurs, par contre, s'intéressèrent à Lily. Ces quinze lignes consacrées à sa lettre déclenchèrent mille initiatives : prières, envoi de mandats‑poste, démarches.
M. le Garde des Sceaux voulut bien étudier personnellement le dossier de Lily. Une promesse fut faite.
3. ‑ La libération.
La promesse a été exactement tenue. Au matin du 1er février, le Secours Catholique recevait un télégramme : « Enfin libre et heureuse grâce Messages. Merci. Respectueusement. Lily. »
Après sept ans de captivité, dans 23 prisons françaises différentes, voici donc une captive libérée par l'initiative de Joseph Brandicourt, appuyée par nos lecteurs.
Même ceux qui n'ont pas écrit ont aidé à ce travail. Si Messages n'avait eu qu'une centaine d'abonnés, cet article n'aurait pas eu ce retentissement. Les cent mille abonnés de Messages sont une force. Un seul abonnement de plus compte. Chaque abonnement nouveau donne du poids à notre action.
Merci à tous pour Lily. Merci pour ses enfants...
4. ‑ Conclusions.
J'entends déjà certains triompher contre la Justice.
A cause de Lily libérée, on voudrait conclure à l'injustice générale et provoquer une campagne en ce sens.
Je ne marche pas.
La Justice n'est point affaire d'opinions ni sujet de campagne.
Lily est enfin libre. Tant mieux. Son cas va permettre de considérer avec plus d'attention quelques autres cas semblables.
Il y a d'autres Lily en prison ? Évidemment. C'est une histoire humaine qui durera autant que l'humanité.
Mais si la discrimination de leur innocence appartenait aux journaux, il y aurait vingt fois plus de Lily innocentes maintenues en prison. Ne confondons pas l'engouement pour une erreur reconnue et réparée avec la règle générale : la règle générale, c'est la dure et lourde responsabilité des juges que nous n'avons point mission, ni vous, ni moi, de remplacer.
Nous ne sommes pas juges.
Ne jugeons pas
L'histoire de Lily prouve, que, dans cette maison, nous n'oublions pas les innocents. D'autres cas moins spectaculaires prouveraient d'ailleurs qu'ils sont plus nombreux et plus actifs qu'on le pense, ceux qui travaillent pour eux...
Mais ce serait trop facile à chacun de s'installer ‑ sans responsabilités ‑ à la place de celui qui a charge de rendre la justice.
Car chacun n'est pas responsable de la justice.
Chacun est responsable de son frère.
Et sans aller jusqu'à la prison lointaine, dans sa propre rue, j'ai des captifs :
Ce ménage innocent qui, avec ses cinq enfants, est enfermé dans une seule pièce, est captif d'une certaine manière;
Ce jeune ménage (innocent lui aussi) partageant trois pièces communes avec les beaux‑parents n'est, somme toute, qu'en liberté surveillée...
Le taudis est, pour mon frère innocent, une sorte de captivité.
A propos, qu'ai‑je fait pour mon frère mal logé ?
Mgr Jean RODHAIN,
Aumônier général des Prisons.