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Mgr Jean Rodhain, président de Caritas Internationalis répond à nos questions

28 août 2017
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Jean RODHAIN, « Mgr Jean Rodhain, président de Caritas Internationalis répond à nos questions. Une enquête de Guy Mauratille », Le Pèlerin, n° 4342, 30 janvier 1966.[1]

Mgr Jean Rodhain, président de Caritas Internationalis répond à nos questions.

Une enquête de Guy Mauratille

Le Concile Vatican II n'a pas été, comme le furent certains de ceux qui le précédèrent, convoqué pour jeter des anathèmes, prononcer des condamnations. Il fut au contraire placé tout au long sous le signe de l'Amour. Amour du plus pauvre. Amour aussi, de notre frère séparé, de l'incroyant... Du coup, l'action charitable ne se présente-t-elle pas désormais sous un visage nouveau ?

- Ce n'est qu'après-demain que l'action charitable aura un visage neuf. Aujourd'hui, elle en est encore à effacer ses rides. Il lui faudra quelque temps pour remodeler son visage.

Elle devra lire, comprendre, et enfin appliquer les centaines de textes qui, dans tous les schémas votés, réhabilitent la Charité, mais lui donnent aussi des perspectives neuves. Elle devra regarder la mappemonde avec le regard de l'Église « présente au monde actuel ». Elle devra dépasser le simple partage pour agir sur les institutions internationales.

Au-delà des textes, l'action charitable devra transposer les signes du Concile. Saint Martin partageant son manteau n'a pas habillé l’Europe, ni créé des magasins gratuits d'habillement. Mais son geste a incité des millions de chrétiens à partager. Un signe est plus « significatif » qu'un texte. Paul VI allant rencontrer Athénagoras à Jérusalem, Paul VI à Bombay saluant les valeurs de la civilisation hindoue, voilà des signes qu'on admire ; c'est facile. Il reste à transposer ces signes en donnant à l'action charitable la même amplitude, depuis Nogent-sur-Marne jusqu'à Calcutta. C'est un énorme travail. Le chantier est ouvert. Nous embauchons...

Dans la Constitution sur « L'Eglise dans le monde de ce temps », un texte est consacré à la protection de la paix et à la promotion de la communauté des peuples. C'est, en somme, le double aspect d'un même problème. Nous avons, depuis, assisté aux efforts de Paul VI en faveur de la Paix. Je crois que, dans un avenir proche, vous allez vous rendre au Vietnam-nord. Vous avez déjà visité le Vietnam-sud. Vous connaîtrez ainsi les malheurs et les besoins des uns et des autres. Comment, Monseigneur, concevez-vous la participation active des chrétiens dans la construction de la paix ?

- Soyons francs : Il n'y aura participation des chrétiens que lorsqu'ils auront d'abord touché du doigt la réalité : Les nations industrielles deviennent de plus en plus opulentes. les pays du Tiers-monde font aussi de légers progrès mais répartis sur une population en augmentation rapide, aussi, de ce côté, le progrès est imperceptible.

D'un côté de la table quelques convives qui disposent de la plus grande part du gâteau alimentaire.

De l'autre côté des convives de plus en plus nombreux pour qui la part est insuffisante.

Or, le public ne s'en rend pas compte.

La plupart des touristes voyageant à l'étranger, logeant dans des hôtels, ne prennent pas un véritable contact avec l'immense pauvreté des pays entrevus.

Cette inégalité criante produira un cri de guerre.

Voilà pourquoi la doctrine du « pain partagé » est déjà une source de paix.

À la fin de son lumineux discours à l'O.N.U. Paul VI annonce un nouveau développement des Institutions caritatives, et il le présente comme un moyen de construire la paix. C'est la Charité d'aujourd'hui qui prépare la Justice internationale de demain, donc la paix de demain.

Et pendant la Messe de clôture du Concile, les assistants découvrent, dans le missel distribué, une rubrique nouvelle : à l'Offertoire, le Pape remet des offrandes à cinq évêques. Les pains bénits d'autrefois sont modernisés : ce sont des chèques importants. Les bénéficiaires ne sont plus « les pauvres de la paroisse » : ces cinq évêques représentent cinq pays du Tiers-monde. Et le Cardinal-doyen, au nom du Pape proclame que ce geste prolonge le discours à l'O.N.U. et qu'il signifie la Charité de l'Église tout entière.

N'est-ce pas signifier à tous que le pain partagé conduit à la paix partagée ?

Ma dernière question, je voudrais vous la poser sur un problème qui, je le sais, vous tient à cœur : celui du diaconat, dont la Constitution dogmatique sur l'Église dit qu'il peut être restauré sur l’initiative des épiscopats locaux. Pensez-vous qu'elle soit souhaitable en France ? Comment voyez-vous l'utilisation des nouveaux diacres ?

- En France, c'est l’Épiscopat qui décidera de cette application de la décision conciliaire qui laisse à chaque pays la liberté de restaurer ou non le diaconat.

Ceux des laïcs avec qui je travaille depuis 20 ans cette question vivent dans des usines et des organismes où la spécialisation des cadres est l’A.B.C. du travail méthodique. Quand un ingénieur doit être en même temps contremaître et aussi métreur-vérificateur, il devient un homme écrasé et son rendement diminue.

Les Apôtres ont créé les diacres, ces spécialistes de l'action liturgique et charitable, afin de pouvoir eux-mêmes se spécialiser dans la théologie et la prédication sérieusement préparées. Cela a fort bien réussi pour l'Église primitive.

A une certaine époque il y a eu télescopage des fonctions du diacre et de celles du prêtre. Dans l'industrie, la confusion des fonctions conduit peu à peu à la faillite de l'usine. Dans l'Église, les résultats sont moins spectaculaires. Mais j'attends que quelqu'un me démontre, preuves en mains, le bénéfice du cumul des fonctions.

Permettez-moi une précision : ce Diaconat, que nous espérons de tout cœur, n'est pas un problème de méthode. L'Eglise n'est pas une usine. Elle n'est pas une machine à calculer où il suffit de déclencher un poussoir pour provoquer une opération.

Le Diaconat posera de nouveaux problèmes de formation, de sélection, d'encadrement et de budget. Mais est-ce que l'existence de vocations à ce Diaconat n’est-elle pas le premier problème à examiner ?

Si tant de vocations au Diaconat se présentent actuellement, n'est-ce pas le signe d'une mystérieuse action de l'Église invisible ? Si l'heure est venue, dans un monde trop mécanisé et trop publicitaire, d'avoir des jeunes qui, sans bruit et sans prétention, veulent servir les plus pauvres, n'est-ce pas significatif ?

Au service du Tiers-monde comme au service des plus humbles misères de nos paroisses, pourquoi, dans ce rajeunissement de l'Église n'y aurait-il pas un éveil de vocations ? Comme l'ont fait St Etienne, diacre, ou St Laurent, diacre, pourquoi, dans les moissons mystérieuses de l'Église ne germeraient pas - provoquées par l'appel précis du Concile - des vocations à un Diaconat de l'an 2000 ?

Pour avoir des fruits en l'an 2000, il ne nous reste que peu d'années pour les semailles. Je suis plein d'espoir.

Mgr Jean Rodhain, qui nous accueille au siège du Secours catholique, 106, rue du Bac, à Paris, est né à Remiremont, le 28 janvier 1900. Son père était commerçant : il en a hérité le sens de l'ordre, de l'exactitude, de l'efficacité. De sa mère, artiste délicate en même temps qu'institutrice, il a gardé le goût du beau, du rare, du « bien fait ». Après ses études au lycée de Remiremont, puis au grand séminaire de Saint-Dié, Jean Rodhain est ordonné prêtre en 1924. Pendant cinq ans, Il est vicaire à la cathédrale Saint-Maurice d’Épinal. Puis, pendant cinq autres années, il est curé d’un village de 200 et quelques habitants, Mandres-sur-Vair. C'est là, sans doute, qu'il découvre le sacristain Sidoine, qui permet les vivants dialogues que Mgr Rodhain publie dans Messages du Secours catholique. C'est à cette époque-là qu'il découvre également la J.0.C. naissante. Il veut en connaître les problèmes et les méthodes. Il est « prêté » pour six semaines par l'évêque de Saint-Dié à l'archevêque de Paris... Depuis ce temps, ça dure... Pendant cinq ans, il est aumônier fédéral de la J.0.C.F. de Paris-Sud. Vient la guerre. Il est deuxième classe. Au bout de six mois, il est nommé aumônier d’une division de chars, où il rencontre, entre autres, le futur maréchal Leclerc et Jean-Pierre Aumont... Prisonnier en juin, il s'évade en juillet : il barbouille sur une voiture prise par les Allemands, la mention « Aumônerie générale des prisonniers de guerre ». La garde allemande le salue quand il franchît les grilles de la caserne où il était captif. Dès août 1940, il organise l'aumônerie des prisonniers, qui deviendra bientôt l'aumônerie générale des prisonniers et déportés. En 1945, il s'occupe des missions vaticanes de rapatriement des déportés. Puis, l'aumônerie des prisonniers et déportés s'efface devant le Secours catholique, dont il est, depuis, le dynamique secrétaire général. En septembre 1965, il est élu président de Caritas Internationalis, qui fédère 67 Secours catholiques nationaux. Entre temps, il est nommé prélat de Sa Sainteté, en 1951, protonotaire apostolique, en 1962, chorévêque de l’Église patriarcale syrienne d’Antioche, en mai 1965... Entre temps, il participe, comme il le dit lui-même, au Concile « pendant sept années », dès 1959, dans les Commissions préparatoires, ensuite comme expert. Entre temps, enfin, il anime la famille du Secours catholique, lui permettant d'être présent, et souvent le premier, après toutes les grandes catastrophes, organisant à Paris, à Lourdes, à Jérusalem les cités-secours, où le nombre des personnes accueillies se chiffre par centaines de milliers et, par millions, celui des repas servis... Devant ces chiffres, il hausse les épaules. L'organisation ne l'intéresse pas. Il préfère mettre l’accent sur la pédagogie de la charité de l'an 2000. Avec comme refrain : « Plutôt que de distribuer 100 pommes, il vaut mieux planter un pommier. »

 

[1] Réédité dans Jean RODHAIN, Toi aussi fais de même, textes présentés par Paul HUOT-PLEUROUX, Paris, SOS, 1980, p. 144-146, sous le titre « la charité d'aujourd'hui prépare la justice internationale de demain ». (note de l’éditeur)

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