Noël 1964 La maision d'Abraham est ouverte
Jean RODHAIN, « La Maison d'Abraham est ouverte », Messages du Secours Catholique, n° 148, janvier 1965, p. 8-9.
Noël 1964
La maison d’Abraham est ouverte
En novembre dernier, M. Morel, président du Secours Catholique de Reims, arrive à Jérusalem avec un groupe de pèlerins. Avant de repartir pour Damas, il désire visiter la Maison d'Abraham. Il interroge son hôtelier, il questionne l'Office du Tourisme : maison inconnue. Il retrouve dans sa valise un vieux numéro de « Messages ». On y situe la future maison d'Abraham sur une colline rendue célèbre par un passage de la Bible : 1er Livre des Rois, chapitre XI, versets 5 à 7. M. Morel cherche une Bible, consulte le 1er Livre des Rois et aux versets 5 à 7 du chapitre XI découvre la description exacte du lieu : les chauffeurs de taxi connaissent l'endroit, et voici notre premier visiteur qui arrive dans une maison remplie de plombiers et d'électriciens au travail.
Pourquoi cette imprécision ?
« Il n'y a pas un mètre carré disponible dans tout Jérusalem. Vous ne trouverez aucun emplacement pour une Cité-Secours. » Voilà le genre de déclaration que nous avons entendue depuis six mois. Et nos conseillers étaient bien renseignés. La rareté des locaux disponibles à Jérusalem est indiscutable.
Dans cette sombre perspective, tout a coup, une espérance surgit. Les marques de sollicitude du Souverain Pontife pour cette maison étaient évidentes : le projet d'une maison pour pèlerins pauvres proposé par Sa Béatitude Maximos IV, Patriarche d'Antioche, Alexandrie et Jérusalem allait rappeler à la fois le pèlerinage de Paul VI et la rencontre historique avec le Patriarche Athénagoras.
C'est alors que S. Em. le Cardinal Tappouni, Patriarche des Syriens, offrit un domaine inespéré.
C'était tellement imprévu, et tellement incroyable que « Messages » est resté discret jusqu'en décembre sur cette Maison. Le numéro de novembre se contentait d'une obscure allusion biblique sur le lieu. Et ce n'est que fin novembre qu'en effet fut signée la convention confiant au Secours Catholique la charge de réaliser cet accueil aux pauvres dans un domaine qui est propriété du Patriarche syrien.
Quelle maison ?
Sur un contrefort du Mont des Oliviers, un parc de 21.000 m2 clos de murs renferme 800 arbres.
Au centre, un bâtiment en pierre de taille. C'est un Prieuré construit par les Bénédictins français en 1903. Dans la chapelle, les armes du Père Abbé d'alors, 13 épis de blé, avec sa devise : Le pain partagé (sic). La maison est dédiée aux saints Benoît et Ephrem, diacre.
Quand l'Ecole Biblique commence une session, elle conduit le premier jour ses étudiants sur la terrasse de ce Prieuré, car de là on découvre le plus beau panorama sur tout Jérusalem d'un côté, sur les Monts de Moab et la mer Morte de l'autre. C'était l’avis du Roi Salomon (Voir Rois 11,5). C'est pourquoi il avait préféré ce lieu.
Ce Prieuré bénédictin servit de Grand Séminaire pour le patriarcat syrien jusqu'en 1953. A cette date, il fut loué à un hôtelier qui y installa l'Hôtel Claridge. Le bail venait à expiration le jour de Noël.
Vous comprenez pourquoi au soir de Noël, en accrochant sur la porte la pancarte, jaune et blanche : Maison d'Abraham, Cité-Secours de Jérusalem, nous nous demandions tous si nous rêvions…
Quelle équipe ?
Les journaux du monde entier ont parlé de ces incidents de frontières qui - à deux pas de la Maison d'Abraham - ont fait des victimes dans la semaine avant Noël. Nous avons à peine entendu la fusillade : une petite équipe entraînée à Fréjus et à Skoplje mettait au point cette nouvelle Cité.
Chaque matin à l’aérodrome un des éléments tombait du ciel.
Les deux premières stagiaires de service arrivaient : Mlle Juliette Gallay, si connue hier au Secrétariat général de l’A.C.G.F., actuellement à la rédaction du « Pèlerin » et S. A. la Princesse M.T. de Bourbon-Parme.
L'aumônier : l’abbé Gélin ; le gérant : M. Paget.
Deux jours avant Noël, l'avion du matin déposait la Communauté des Religieuses Dominicaines de la Présentation de Tours qui ont bien voulu accepter une lourde charge dans la gestion de notre Maison.
L'Hôtel Claridge avait une très brave équipe locale de cuisine et d'entretien, sous la direction du chef Ahrmed : nous l’avons conservée tout en simplifiant le travail : car comme à Lourdes, c'est un self-service que nous avons installé.
La veille de Noël
Les diverses autorités locales, depuis 8 jours, commencent à nous envoyer les pèlerins à bout de course. Règlement implacable déjà : temps limité, et deux heures de travail par jour. Deux Parisiens étudiants des Beaux-Arts en sont quitte pour exécuter la fresque du réfectoire.
Le premier groupe va arriver ce soir. On vérifie : il n'y aura plus un seul drap du Claridge disponible demain...
Voici un groupe de visiteurs : c'est une délégation musulmane de Siloé, notre commune, qui vient nous souhaiter bonne fête de Noël...
Et voici enfin le premier groupe de nos pèlerins arrivant du Liban. En moyenne ils ont une seule valise pour six. Les autres ont un petit paquet enveloppé de journaux.
Si tous les pèlerins futurs sont aussi exactement choisis, la Maison d'Abraham sera véritablement la Maison des pauvres.
Un rêve
Vous tous qui nous avez aidés à la Cité-Secours de Lourdes ou de Myriam ou de la Comète. Vous tous qui, dès la première annonce de cette Cité de Jérusalem nous avez proposé vos services ou vos dons ou vos encouragements si affectueux, sachez bien que vous étiez avec nous cette nuit-là.
Le clocher de Bethléem sonnait très loin dans un ciel de givre. A l'heure exacte la Maison d'Abraham était pleine.
Je vous assure qu'on pensait à vous tous pendant cette messe. Mais je vous assure aussi que, plusieurs fois, toute l'équipe un peu étourdie d’émotion, nous nous sommes répétés entre nous, en cette nuit de Noël . « Oui ou non, est-ce que nous rêvons ? »
Jean RODHAIN.