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"Vous, c'est la charité !" par Mgr Descubes

20 novembre 2017
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Intervention de Monseigneur Jean-Charles Descubes, président de la Fondation Jean Rodhain, à la Faculté de théologie d'Angers, sur Jean Rodhain.

VOUS, C’EST LA CHARITÉ !

Votre faculté n’est pas étrangère à la création de la Fondation Jean Rodhain, le 1er février 1978 avant sa reconnaissance d’utilité publique le 1er juillet 1981.

A partir de 1958 Jean Rodhain a eu à ses côtés,  au siège national du Secours Catholique, un théologien en la personne de Jean Colson, spécialiste des origines chrétiens et professeur à la Faculté de Théologie d’Angers.

Et, en créant une fondation, Jean Colson et ses amis ont souhaité que ne soient pas oubliées les intuitions et les idées-forces de Jean Rodhain sur la charité.

Merci de nous recevoir, Christine Gilbert et moi-même, pour ce temps d’échange dans le cadre de notre visite à la Chaire Jean Rodhain dans le cadre de la convention qui lie votre faculté et la Fondation Jean Rodhain.

Vous, c’est la charité !

C’est par ces mots que le pape Jean XXIII accueillit un jour Mgr Jean Rodhain. Il l’avait bien connu lorsqu’il était nonce à Paris. Il avait été le témoin en 1946 de la création du Secours Catholique à la demande de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, puis du développement de son action tant en France que dans les pays du Tiers-monde.

Mgr Rodhain a-t-il totalement apprécié cette salutation ? Il ne cessera de s’opposer en vain à une partition de l’action missionnaire entre les œuvres caritatives et l’engagement social.

La charité n’est pas une activité particulière de l’Eglise. En raison de son fondement en Dieu, elle doit en inspirer l’ensemble de sa mission et son action.

C’est ce qui a conduit Jean Rodhain à vouloir s’appuyer sur le réseau des paroisses en initiant une pédagogie de la charité. La charité est l’affaire de tous. Le but final du Secours Catholique, c’est une pédagogie de la charité. Il ne s’agit pas de trouver 100 000 francs, mais d’éveiller 100 000 cœurs (Interview publiée dans la France catholique, 19 novembre 1971). En 1952, il écrivait déjà aux curés des paroisses : Il ne s’agit pas de ramasser 1 000 francs de plus. Il s’agit d’inquiéter les chrétiens pour qu’ils réalisent la charité visible de l’Eglise. Mais, dans une perspective  missionnaire face à la déchristianisation du pays la priorité est donnée aux mouvements d’action catholique, au combat pour la justice et à l’action sociale. Les paroisses sont finalement peu considérées. L’exercice de la charité est cantonné aux activités purement caritatives. On trouve d’ailleurs des traces de ce débat au Concile Vatican II tant dans la constitution Gaudium et Spes que dans le décret Apostolicam actuositatem (cf. à ce sujet les remarques de Paul de Surgy, ancien doyen de cette faculté : La nouvelle rédaction du schéma sur l’apostolat des laïcs, Etudes et documents, n° 9, 16 juillet 1965, in Luc Dubrulle, Mgr Rodhain et le Secours catholique, Paris, Desclée de Brouwer, 2008, p. 291).

Or la charité n’est pas l’affaire de spécialistes mais de tous les chrétiens, la marque distinctive de l’Eglise.  Créés à l’image de Dieu, pour être à sa ressemblance, nous sommes tous appelés, par grâce, à une charité attentive, inventive et active

JEAN RODHAIN : UNE CHARITÉ ATTENTIVE, INVENTIVE ET ACTIVE.

Je vous renvoie naturellement :

- aux travaux de Luc Dubrulle, délégué général de la Fondation Jean Rodhain et titulaire de la Chaire Jean Rodhain à la Faculté de Théologie de Lille, tout particulièrement au livre que je viens de citer ;

- et au site de la Fondation Jean Rodhain sur lequel tous ses écrits sont désormais en ligne depuis cet été (www.fondationjeanrodhain.org).

Brève biographie :

Quelques dates :

- Le 29 janvier 1900, il naît à Remiremont dans les Vosges ; son père est un épicier efficace et précis (il découvre auprès de lui l’importance du détail, le côté pratique des choses, le souci de travail bien fait ; il hérite de lui un cœur d’or sous un masque froid), sa mère est institutrice (elle lui donnera le goût de l’écriture), sa sœur deviendra moniale bénédictine.

- En octobre 1918, recalé au baccalauréat et réformé, il entre au Grand Séminaire de Saint-Dié.

- Le 2 juillet 1924, il est ordonné prêtre et nommé vicaire à Epinal.

- En 1929, il devient curé de deux petites paroisses rurales déchristianisées Mandres et Noroy-sur-Vair : il fait peindre sur la croix à l’entrée de l’église de Mandres : Passant, arrête-toi. Prie ton Dieu. Aime ton prochain. Et va ton chemin.

- En 1934, il est appelé comme aumônier de la Fédération de la JOCF de Parus-Sud où en 1937, il sera le maître d’œuvre de la grande paraliturgie nocturne du 10ème anniversaire de la JOC au Parc des Princes à Paris.

- En septembre 1939 : il est mobilisé au Régiment des Tirailleurs sénégalais à Epinal et invente les valises bibliothèques pour occuper les loisirs des soldats.

- Aumônier militaire, il est fait prisonnier avec son régiment le 16 juillet 1940 avant de s’évader de l’hôpital d’Avallon et d’organiser l’Aumônerie des prisonniers de guerre (valises-chapelles ; parrainage des camps de prisonniers par les diocèses, etc.), et de créer en 1943 l’Aumônerie des travailleurs français en Allemagne multipliant les démarches avec détermination tant auprès de l’administration nazie, que des évêques de France et du Saint-Siège.

- Le 12 avril 1944, il prend la tête d’un premier détachement de la Caravane vaticane en direction des camps de prisonniers. Il arrive à Buchenwald dans le sillage de l’armée américaine : J’ai vu le spectacle bouleversant des abattoirs encore remplis, des cadavres non encore inhumés, et des survivants dans l’état dans lequel on a pu les trouver : des squelettes vivants ! (Roger Guichardan, Le Père Guichardan interroge Mgr Rodhain : une charité inventive, Paris, Editions SOS, 1975).

- Le 10 novembre 1944, il nommé aumônier en chef de l’aumônerie catholique aux Armées par le Gouvernement, et lance Messages afin de diffuser les courriers provenant des camps.

- En 1945, il participe à l’accueil des prisonniers libérés avant le Grand Pèlerinage du Retour qui aura lieu le 8 septembre 1946 à Lourdes.

- C’est à la fin de ce pèlerinage qu’il annonce la création du Secours Catholique. Il en sera le secrétaire général de 1946 à 1970 puis le président de 1970 à 1977. Dans une perspective d’évangélisation cette création réalise la fusion du Comité catholique de secours dont les compétences sont expressément limitées par le Saint-Siège au rapatriement et aux rapatriés, et le Secours catholique international fondé en 1944. Jean Rodhain semble avoir été très influencé par un article de l’abbé Thellier de Poncheville  et une initiative de l’épiscopat anglican : Presque toutes nos paroisses connaissent des dévouements qui ne demandent qu’à être bien employés. Ce qui nous manque, c’est un organisme central leur fournissant un plan de travail et de bons instruments pour le réaliser (Pour entreprendre l’évangélisation de la France, La Croix, 18 septembre 1945). Mais les tensions sont nombreuses entre les deux organisations. Mgr Chapoullie, nommé en 1945 directeur du secrétariat de l’épiscopat et qui deviendra évêque d’Angers, s’emploiera non sans mal à les résoudre.

- De 1946 à 1977 : la vie de Jean Rodhain s’identifie à l’histoire du Secours Catholique tant à l’échelon national qu’international en contribuant notamment à la création de Caritas internationalis,

Il participe comme procurateur de l’archevêque de Bordeaux puis comme expert au Concile Vatican II où il militera en particulier pour la restauration d’un diaconat permanent chargé d’organiser la diaconie de l’Eglise.

- Le 1er février 1977, il meurt dans la nuit à la Cité Saint-Pierre à Lourdes.

Sa foi :

- Héritée de sa famille profondément chrétienne, elle n’est pas une contrainte ; ses parents ne s’opposent pas à sa vocation sacerdotale mais ils l’inscrivent au collège public pour que la liberté de sa décision soit préservée.

- Enrichie du témoignage de prêtres : J’ai l’impression d’avoir toujours eu le désir de devenir prêtre. J’avais le spectacle du bon curé, le bon vieux curé de Remiremont et de ses vicaires, et leur dévouement pour la ville, les malades et tous les pauvres gens (cf. Jacqueline Dornic, Mgr Jean Rodhain, visionnaire de la charité, bâtisseur du Secours catholique, Secours Catholique Caritas France).

- Enracinée dans la prière ;

- Ordonné diacre à Noël 1923, il dira que cette ordination l’a plus profondément marqué que son ordination presbytérale en 1924.

Son attention aux personnes et à leurs situations :

- Les jeunes ouvrières au début de son ministère à Epinal.

- La détresse des prisonniers et des camps pendant la guerre.

- Le Séminaire des barbelés près de Chartres où il obtient que soient regroupés les séminaristes allemands prisonniers.

- Les situations de pauvreté de l’après-guerre :

  • avec une première campagne en faveur des malades en 1947 (300 000 rapatriés des camps sont hospitalisés à leur retour ; les sanas comptent 400 000 malades) ;
  • l’année suivante c’est celle qui est organisée en faveur des enfants trop souvent victimes eux aussi de maladie et de malnutrition, puis ce sont les premières vacances à leur intention en Belgique, aux Pays-Bas et au Portugal ;
  • la Campagne des berceaux pour aider les jeunes foyers démunis ;
  • les personnes âgées et isolées ;
  • etc.
  • Les cellules d’urgence pour intervenir sans délai lors de catastrophes comme la rupture du barrage de Malplasset en décembre 1959.
  • La misère internationale et le sous-développement (la famine au Biafra, la misère du Bengladesh p.ex.).

Sa créativité et son audace dans tous les domaines :

- Son évasion rocambolesque est à l’origine de la création de l’aumônerie des prisonniers de guerre (nommé aumônier militaire en 1940, il sillonne les champs de bataille pour porter secours aux blessés ; fait prisonnier, il s’évade de l’hôpital d’Avallon en peignant sur le pare-brise d’une voiture empruntée : Aumônier des prisonniers de guerre ; le planton lui ouvre le portail et lui rend les honneurs).

- Les paraliturgies pour la JOC, pour le Congrès eucharistique national de Nancy (10 juillet 1949), pour la célébration de clôture du Concile Vatican II (8 décembre 1965 : Après l’oraison des fidèles en latin et en grec, le Saint-Père, qui rappelait aux Nations-Unies, le 4 octobre dernier, le grave devoir de la grande famille humaine de venir au secours des moins favorisés de ses membres, remet un chèque à cinq évêques de Palestine, Argentine, Inde du sud, Pakistan et Cambodge. Cette aide apportée au moment même de l’offertoire de la messe veut être le symbole de la charité de l’Eglise tout entière unie autour du Pape).

- L’attention au prochain conduit à inventer. Une charité qui n’invente pas, elle piétine, elle n’avance plus (Messages, novembre 1975).

- Dans trente ans, nous serons dans le XXI° siècle : c’est cela qui me saute aux yeux […]. Un monde différent réclamera un partage transformé […]. Il s’agit d’éveiller et d’inventer. La charité véritable se rajeunit sans cesse (in : Méditer avec Jean Rodhain, éditions Salvator).

Son obstination :

- Elle lui permet de mener à bien les projets humainement les plus fous et de vaincre les résistances : (La charité) me donne la fièvre. On n’a pas trouvé de remède à ses brûlures, des brûlures du dedans (Jean Rodhain, Charité à géométrie variable).

Un texte fondateur : la parabole du Bon Samaritain (Luc 10, 25-37) :

[…] Il n’est pas interdit à la charité d’être intelligente.

[…] L’Evangile est impitoyable pour [le] prêtre et [le] lévite qu’il nous présente inattentifs au blessé gisant au bord de la route entre Jérusalem et Jéricho.

[…] Par contraste [Jésus] donne en exemple [le] bon Samaritain avec sa charité en deux temps. Je dis bien en deux temps.

Premier temps, il agit personnellement : il s’approche, il soigne, il transporte, c’est l’assistance directe.

Deuxième temps : ce Samaritain a recours aux structures de l’époque : l’hôtellerie. Il confie son blessé à cette institution. Il collabore à cette institution en versant deux deniers à l’hôtelier. Il fait ses recommandations à l’hôtelier et promet de revenir et de rembourser les frais supplémentaires. On croirait entendre une assistante sociale remplissant un dossier et calculant le ticket modérateur de la Sécurité Sociale. Ce bon Samaritain n’était pas au stade de l’aumône aveugle. Il avait assez de perspicacité pour s’adresser aux organismes compétents de l’époque. Il ne distribuait pas seulement un pansement momentané ; il savait prévoir une action dans le temps. Il savait s’en remettre aux spécialistes capables d’héberger et de soigner. Il savait cotiser pour ce travail. Il avait une charité intelligente.

[…] la vraie charité est toujours en avant. La charité d’aujourd’hui prépare la justice sociale de demain. La charité de demain suscite le développement adapté à la mesure de l’homme. Tout se tient.

La charité est un feu dévorant allumé au cœur du Christ […] Charité ou développement ? Il n’est pas interdit à la charité d’être intelligente, Messages, mars 1968).

Une méthode :

« Voir, juger, agir. » Jean Rodhain pratique les trois verbes de la JOC. Ce qui peut aussi se décliner avec les « quatre r » :

- Regarder (la misère en analysant la situation).

- Révéler (la pauvreté pour réveiller « les chômeurs de la charité » que nous sommes).

- Réaliser (voir l’urgence et faire les premiers soins ; puis confier la personne aux institutions).

- Réunir (les acteurs de la charité pour se coordonner et être plus efficace).

[…] Jean Rodhain a pensé et mis en œuvre le Secours Catholique comme diaconie de l’Eglise de France qui s’organise de manière à être la plus efficace possible au plan national. Sur le plan local, c’est la paroisse en charité. Sur le plan international : Caritas et Cor unum désormais intégrés au nouveau dicastère romain pour le Développement humain intégral (Luc Dubrulle, Le culot d’avance, Famille chrétienne, 2016).

NÉCESSITÉ D’UNE RECHERCHE THÉOLOGIQUE SUR LA CHARITÉ.

La charité, marque distinctive du chrétien et de l’Eglise :

Nous ne sommes pas une société de bienfaisance légèrement colorée d’un peu de religieux. Non c’est juste le contraire : la Croix est au centre de notre insigne […]. Une authentique activité charitable rejoint invisiblement Celui qui est Charité […] (J. Rodhain, Toi aussi, fais de même).

Et, note Jean Rodhain lors d’un film réalisé sur le Bengladesh en 1971 (Le Jour du Seigneur) : Je crois que le travail de la charité n’est pas de faire des structures, mais de préparer la justice sociale de demain. Une œuvre charitable peut prendre des initiatives qu’un gouvernement ne prend pas ; c’est plus léger, c’est plus spontané, c’est plus adapté … quitte à disparaître au bout de vingt ans, et que l’Etat reprenne ensuite ces organisations-là. C’est un rôle d’invention, un rôle d’imagination. L’Etat n’a jamais d’imagination, les structures sont toujours lourdes. Il faut des petites flammes, des petites flammèches qui courent devant. C’est le rôle de la charité.

Voilà qui rejoint une idée chère au pape François :

Nous sommes donc appelés à traduire dans le concret ce que nous invoquons dans la prière et les professions de foi. Il n’y a pas d’alternative à la charité : ceux qui se mettent au service de leurs frères, même sans le savoir, sont ceux qui aiment Dieu.

La vie chrétienne n’est pas une simple aide qui est fournie dans le temps du besoin. S’il en était ainsi, ce serait un beau sentiment de solidarité humaines qui susciterait un bénéfice immédiat, mais qui serait stérile, parce que sans racines.

L’engagement que le Seigneur demande au contraire, est l’engagement d’une vocation à la charité par laquelle tout disciple du Christ met sa propre vie à son service, pour grandir chaque jour dans l’amour. (Homélie lors de la canonisation de Mère Teresa de Calcutta, 4 septembre 2016).

[…] On est agacé par certains qui disent pratiquer la charité ? Répondez que c’est la charité qui pratique le chrétien, qui l’agit, qui l’anime. On dit qu’il exerce la charité. Non c’est la charité qui l’exerce […] (Où est le pauvre ? Brochure de la Journée nationale du Secours Catholique, 1958).

Une nécessité : réfléchir la charité :

Depuis la catéchèse jusqu’aux soutenances de thèses théologiques, il reste un travail d’actualité à réaliser pour réhabiliter et rajeunir la notion de charité. Du même coup, on préparera, à longue échéance, un regard lucide […] sur les problèmes de développement ou de partage. L’enseignement passe avant toutes les techniques (Jean Rodhain, Rome, mai 1976).

Pour Jean Rodhain la charité est l’esprit qui doit animer toute l’action missionnaire de l’Eglise et l’engagement des chrétiens. La charité n’est pas une chose à faire mais un esprit à vivre.

Dieu est charité (1 Jn 4, 16). Tel est le fondement théologal de la charité qui devient alors la règle de toute éthique chrétienne, critère suprême et universel de l’éthique sociale tout entière, affirme le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise (n° 204).

[…] ce ne sont pas nos mains qui sont paralysées, c’est notre cerveau. Nous ne croyons plus à la charité. Et si nous y croyons avec le cœur, nous hésitons à la traduire en des gestes modernes et adaptés aux institutions d’aujourd’hui et de demain. Nous avons les mains vides parce que nous avons les idées vides Jean Rodhain, L’Eglise des pauvres à l’heure du Concile, inédit, 7 mai 1964).

[…] La charité ne se réanime pas avec des moyens techniques. […] Tout tient à la source. Tout se ramène à réhabiliter la notion de charité. Tout dépendra de l’exact enseignement de la théologie, du rattachement de la foi au dogme de la Trinité, seule source de la seule charité (Jean Rodhain, conclusion d’une brochure La charité d’un concile à l’autre. Dans le problème des activités charitables de l’Eglise, qu’y a-t-il de changé du I° au II° Concile du Vatican II ? 1962).

Et dans une note qu’il rédige le 5 janvier 1972 dans la perspective de la constitution du Conseil pontifical Cor unum créé par Paul VI le 15 juillet 1971 et auquel il sera nommé le 15 décembre suivant, Jean Rodhain écrit : En vue de la première réunion du Conseil pontifical « Cor unum » il nous est demandé de préparer nos interventions et en particulier de proposer des « priorités ». Je réponds : avant tout priorité à une recherche théologique sur la vertu de la Charité. Pourquoi ? Primo : l’indication donnée par Paul VI. […] Secundo : Le lien avec le Concile Vatican II. […] Tertio : L’aveuglement actuel des clercs. […]  Chacun de ces points est argumenté. Si, ultérieurement, au sein de « Cor unum », des Commissions doivent être crées, je vote en priorité pour une Commission de recherche théologique sur la Charité.

Une théologie de la charité à renouveler :

[…] Il n’y a jamais eu jusqu’ici d’encyclique sur la charité proprement dite (Benoît XVI s’y emploiera : Deus caritas est, 9 novembre 2017, et Veritas in caritate, 29 juin 2009). […] la question me préoccupe. Tout le travail du Secours Catholique serait du temps perdu si on n’aboutissait pas un jour à un travail sérieux de théologiens sur la charité. […] Est-ce que la théologie de la charité a été assez approfondie et assez pensée pour pouvoir provoquer l’Eglise à se présenter à ces peuples nouveaux, à cette civilisation en marche, à cette jeunesse du monde, un programme d’amour et de fraternité qui soit séduisant ? (Jean Rodhain in : Roger Guichardan, Le Père Guichardan interroge Mgr Rodhain : une charité inventive, Paris, éditions SOS, 1975).

Chaires Jean Rodhain :

Je ne serai tranquille que lorsque je serai arrivé mais j’en suis encore très loin, à ce que, à l’Institut catholique de Paris, il y ait une chaire d’enseignement de la charité. […] La théologie de la charité est sous-développée. Le problème n’a pas été jusqu’ici creusé et travaillé. C’est l’un de mes soucis (ibid.).

Jean Colson notait déjà en 1962 : Il y a un problème de coordination de l’enseignement de la charité pour sa mise en valeur, sa mise en état de puissance, autrement et plus efficacement que par un rappel occasionnel dans une encyclique ou une lettre pastorale. Il serait souhaitable que le christianisme se manifeste non comme une religion mais comme un chantier de reconstruction (ou de rédemption) du monde dans la charité inauguré par Dieu en Jésus Christ et dynamisé par Lui, pour éviter en particulier l’idée que le caritatif est antisocial.

En ce sens le développement des études sociales serait souhaitable, encore que l’enseignement théologique de base demeure primordial pour éviter cela qui est inévitable si on aborde des études sociales spécialisées sans une formation théologique de base où la charité aurait toute sa place (Jean Colson, La charité dans l’enseignement et la formation des grands séminaires).

Une réhabilitation en cours :

L’expression réhabilitation de la charité revient régulièrement dans les écrits et dans les conférences de Mgr Rodhain. Elle constitute l’objet d’une tentative constante vers l’avant, en faisant confiance aux ressources du passé. La préoccupation théologique de Mgr Rodhain se confond avec le fait de rendre opérant et à disposition pour aujourd’hui, ce qui a fait ses preuves et a été accumulé dans l’histoire. Son programme théologique est tout entier inscrit dans la notion de réhabilitation. La théologie de la charité, comme la charité tout court, ne change pas. Mais parce que contestée, il faut la réhabiliter (L. Dubrulle, Quand la charité fabrique des hommes, Transversalités, octobre-décembre 2017, n° 143).

Mais : Il faut reconnaître que cette tentative théorique n’a pas vraiment fonctionné, et si Jean Rodhain lui-même n’a cessé d’employer le mot charité, l’usage du concept de charité a eu une nette tendance à s’effacer au profit de termes, et partant de concepts, religieusement plus neutres tels que justice, solidarité, fraternité et plus récemment diaconie (ibid.). Des options différentes opposent Jean Rodhain à la fédération des Secrétariats sociaux qui estiment que lui revient l’action auprès des institutions sociale, le Secours Catholique étant chargé de pallier les déficiences de la société. Des questions financières ne sont pas totalement étrangères à ce débat.

Pourtant Jean Rodhain s’inscrit dans la voie ouverte (cf. Luc Dubrulle, Discours social de l’Eglise catholique, site du CERAS, 14 janvier 2011) :

- par Léon XIII : dans la lettre apostolique Graves de communi publiée dix ans après l’encyclique Rerum novarum, le pape constate qu’il s’est établi entre les catholiques une communauté d’action pour soulager les misères du peuple, non seulement par des secours passagers, mais aussi par un ensemble d’institutions permanentes (secrétariats du peuple, caisses rurales de crédit, mutualités d’assistance ou de secours, associations d’ouvriers, etc. ; il les définit comme une science de la charité, une des gloires de la charité) ;

- puis Pie XI :

  • qualifiant le domaine politique de champ le plus vaste de la charité, de la charité politique, dont on peut dire qu’aucun autre ne lui est supérieur, sauf celui de la religion (L’action catholique et la politique : Discours à la Fédération universitaire italienne, 1927) ; et
  • inventant,  face au risque d’enfermer l’exercice de la charité dans l’aide et l’assistance, le concept de charité sociale qu’il articule avec celui de justice sociale ; si la justice sociale est définie comme norme objective de l’ordre juridique, économique et social, la charité est posée comme l’âme de cet ordre (Quadragesimo anno, 1931) ;
  • intégrant, comme le fera à sa suite Pie XII à maintes reprises, la justice sociale dans une perspective théologale ; charité et justice sociale ne délimitent pas des domaines d’action séparés.

Paul Huot-Pleuroux, premier délégué général de la Fondation Jean Rodhain, peut écrire : Mgr Rodhain a […] répété tout au long de sa vie que la charité n’était aucunement périmée, mais qu’elle devait s’appliquer, de façon nouvelle, au monde d’aujourd’hui. […] il croyait que ce sont les idées qui mènent le monde. Alors que le grand public le considérait avant tout comme un homme d’action et un organisateur de premier ordre, il portait en réalité un souci majeur de réflexion théologique et spirituelle sur la charité. « Lorsqu’on escamote le mot juste, on escamote l’objet ». Et ailleurs : « Dès qu’on rougit de parler de charité, on ne construit plus l’Eglise vivante ». Aussi souhait-t-il que la charité fasse l’objet de nouvelles recherches, d’un enseignement solide et d’une pédagogie adaptée. Pour tout dire, un renouveau !

Auquel le pape Benoît XVI appelait dès sa première encyclique. La charité ne doit pas être seulement individuelle mais devenir un acte essentiel de l’Eglise en tant que communauté : La nature profonde de l’Eglise s’exprime dans une triple tâche : annonce de la Parole de Dieu (kerygma-martyria), célébration des sacrements (leitourgia), service de la charité (diakonia). Ce sont trois tâches qui s’appellent l’une l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La charité n’est pas pour l’Eglise une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer (Deus caritas est).

Un nouveau défi : l’intégration sociale des pauvres.

Non plus penser et organiser la charité pour les pauvres et les plus fragiles, mais les écouter, penser avec eux et faire en sorte que chacun trouve sa place et devienne acteur dans l’Eglise et dans la société.

Cette nouvelle forme de l’option préférentielle pour les pauvres a un fondement théologique. Dieu s’est fait pauvre révélant ainsi son désir d’un vis-à-vis (cf. la théologie politique de Jean-Baptiste Metz : vivants ou morts,  nous sommes appelés à être des sujets devant sa face). Est pauvre qui fait l’expérience de l’humiliation et de l’exclusion. Dieu et Jésus ont connu l’humiliation et l’exclusion.

C’est l’un des enjeux de la Journée mondiale des pauvres à laquelle le pape François nous invite dimanche prochain (je vous renvoie également à Evangelii gaudium et à Laudato si’).

C’est dans cette perspective également que le Conseil pour la Solidarité de la Conférence des Evêques de France et le Secours Catholique Caritas France, ont demandé à la Fondation Jean Rodhain d’ouvrir un site pour poursuivre le travail théologique initié lors du rassemblement national Diaconia 2013 et tout récemment de la première Université de la solidarité et de la diaconie (www.servonslafraternite.net).

Le dernier colloque de la fondation  (Comment élaborer une théologie et une éthique sociale à partir des plus pauvres ?) a défini une méthode. Avec chacune leur spécificité, les Chaires Jean Rodhain des six facultés françaises de théologie apportent une aide précieuse à cette élaboration et prennent ainsi leur part de la diaconie de l’Eglise.

                                                                       Jean-Charles Descubes

                                                                       Président de la Fondation Jean Rodhain

 

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